Nous avons vu que l'astronome observe essentiellement des
angles sur un ciel que l'on appelle la sphère céleste. Pourtant, tous les astres
ne sont pas à la même distance de l'observateur. Comment, à partir de simples
mesures d'angles, va-t-on pouvoir mesurer la taille de la Terre, la distance
qui la sépare des astres du ciel et son mouvement dans l'espace?
Pour cela, une notion va être essentielle: la parallaxe.
Si deux observateurs voient un même objet sous deux angles différents, c'est
que l'objet n'est pas à l'infini. La différence de vue ne dépend que de la
position des observateurs et de la distance de l'objet observé. C'est le phénomène
de relief, créé par notre cerveau à partir des images différentes reçues par
nos deux yeux. Plus la distance de l'objet est grande, plus la distance entre
les deux observateurs (entre les deux "yeux" qui observent) doit être
grande. Nous allons donc utiliser ce phénomène pour mesurer la distance
d'objets célestes où nous ne pouvons pas nous rendre pour mesurer leur distance
in situ. Sur Terre, on utilise aussi ce phénomène pour mesurer la distance de
lieux éloignés sans y aller: c'est la triangulation.
Commençons par essayer de mesurer la distance d'un objet situé sur la Terre. C'est ainsi que l'on pourra cartographier la surface terrestre de proche en proche. La méthode pour mesurer une distance est celle de la triangulation : on voit un objet dans une certaine direction (visée n°1) et si on se déplace d'une distance bien mesurable appelée "base", on voit l'objet dans une direction différente (visée n°2). Dans le triangle "objet - visée n°1 - visée n°2", on connaît un côté et deux angles : on peut calculer les autres côtés et déterminer la distance de l'objet. Cet effet est appelé "parallaxe" en astronomie.
Pour calculer la distance d'un corps céleste à la Terre, on
peut procéder de la même façon. Depuis deux lieux sur Terre, on va mesurer
l'angle de visée d'un astre et, connaissant la base, calculer la distance.
On conçoit bien que cette méthode a ses limites: si l'astre est très loin, la
plus grande base terrestre ne pouvant dépasser 12756 kilomètres (le diamètre
terrestre), il faut que la différence d'angle de visée entre les deux
observateurs soit mesurable avec l'instrumentation dont les astronomes
disposent.
Calcul d'une distance par parallaxe
Mesure de distance par triangulation
On désire mesurer la distance CH entre un bâtiment C et une route ABH de direction Nord-Sud sur laquelle se déplace un observateur qui ne peut mesurer que des angles ou des distances sur la route. D'une position A, l'observateur mesure un angle d'azimuth 30° entre la bâtiment C et la direction du Sud. D'une position B située un kilomètre plus loin sur la route, l'observateur va mesurer un azimuth de 45°. Pour calculer CH, il suffit de résoudre le triangle ABC pour calculer la distance CH connaissant les deux angles en A et B et la base AB. On applique une des relations entre angles et côtés dans un triangle.
a / sin(A) = b / sin(B) = c / sin(C) où (A), (B),
(C) sont les angles en A, B, C du triangle ABC.
On a donc:
a / sin(30°) = 1 km / sin(C)
où (C) = 180° - ((A)+(B)) = 180° -165° = 15°
d'où: a = sin(30°) / sin(15°)
CH = a.cos(B) = cos(45°)
CH = 1366 m
On a vu précédemment que triangulation ou parallaxe utilisait le même principe pour déterminer la distance d'un objet éloigné sans avoir à y aller et sans mesurer directement la distance à l'objet. On remarque que la précision de la mesure dépend de la longueur de la base. Il faut pouvoir mesurer les angles avec suffisamment de précision. Pour un astre pas trop éloigné, il suffit de se déplacer sur la surface de la Terre -ou mieux de faire deux observations simultanées à partir de deux lieux éloignés sur la surface de la Terre- pour en déterminer la distance.
On remarque alors que le mouvement diurne de rotation de la Terre autour de
son axe déplace chaque observateur au cours de la journée. Ce déplacement va
modifier l'angle sous lequel on voit un astre à distance finie par rapport à
l'angle de vue depuis le centre de la Terre qui ne bouge pas. C'est la
parallaxe diurne qui, pour un observateur et un lieu donné va varier au cours
de la journée. La distance séparant deux positions d'un observateur peut servir
de "base" pour mesurer une distance. On comprend aisément qu'une
telle base a une valeur limite maximale: c'est le diamètre terrestre.
La parallaxe diurne a une valeur maximale: c'est la "parallaxe
horizontale" pour un astre donné. Elle sera atteinte pour un astre observé
à l'horizon. Cette valeur est donc l'angle sous lequel un observateur situé sur
l'astre en question voit le rayon terrestre.
Pour déterminer la distance des étoiles, les distances à mesurer deviennent très grandes et la distance entre deux lieux sur Terre n'est pas suffisante pour faire de la triangulation. On va utiliser la parallaxe annuelle (angle sous lequel on voit le rayon de l'orbite terrestre depuis l'étoile), c'est-à-dire les différentes positions de la Terre sur son orbite pour mesurer les différences de direction apparente avec une base suffisamment grande (la base procurée par les différentes positions de la Terre sur son orbite atteint 300 millions de kilomètres). Si la parallaxe annuelle est d'une seconde de degré, on dira que l'étoile est à une distance de 1 parsec de la Terre. Très peu d'étoiles ont une parallaxe mesurable depuis la Terre. Les satellites astrométriques (Hipparcos, puis Gaia), en augmentant la précision de mesure de cette parallaxe, permettent d'obtenir la distance à la Terre de beaucoup plus d'étoiles que depuis le sol terrestre.
Mesure de la distance Terre-étoile grâce à la parallaxe annuelle due au mouvement de la Terre autour du Soleil
Cette mesure repose donc aussi sur la triangulation et la parallaxe mais à 6
mois d'intervalle.
La mesure de parallaxe pour les étoiles est précise mais elle n'est pas
possible pour les étoiles très éloignées. Ce seront alors des critères reposant
sur les statistiques, la photométrie et la spectroscopie qui permettront
d'évaluer ces distances.
Parallaxe et distance Terre –Soleil
Ayant vu comment les astronomes mesurent les distances aux planètes et aux étoiles, comment va-t-on concrètement mesurer le système solaire tout entier? En quoi l'observation du passage de Vénus peut-elle nous donner la distance Terre-Vénus?
Pour comprendre, voyons concrètement comment on va mesurer la parallaxe d'un
astre donné.
On a vu qu'il fallait mesurer un angle de visée d'un astre par rapport à une
direction fixe, connue des deux observateurs, même éloignés et sans contact.
Cette direction fixe va être fournie par un astre situé à proximité de l'astre
dont on veut mesurer la distance, mais situé suffisamment loin pour pouvoir
être considéré comme étant à l'infini. Cela revient à dire que sa parallaxe est
nulle: quel que soit le lieu de la Terre d'où on l'observe, on le voit toujours
dans la même direction. On va donc utiliser les étoiles pour laquelle la
parallaxe diurne est négligeable. On a appliqué cette méthode à la planète Mars
dès le XVIIème siècle mais la visée des étoiles était
difficile et on a cherché un autre astre et une méthode plus facile. La planète
Vénus, passant régulièrement devant le Soleil, a apporté la solution. Lors d'un
tel passage, le disque solaire est un repère sur lequel la planète Vénus va
apparaître à des endroits différents pour des observateurs différents. C'est le
principe de la parallaxe.
Cas de la planète Mars: celle-ci n'apparaît pas devant les mêmes étoiles selon le lieu d'observation sur Terre
Pour la planète Mars, seul le principe de la parallaxe avec un calcul utilisant une base connue (dépendant des lieux d'observation sur Terre) va nous permettre de calculer la distance Terre Mars.
Cas de la planète Vénus: la projection de son disque sombre sur le disque solaire lors d'un passage n'est pas la même pour deux observateurs terrestres
Pour Vénus, on se sert du Soleil comme référence pour calculer la parallaxe.
A la différence du calcul de la parallaxe pour la planète Mars, le Soleil n'est
pas à l'infini: il a lui aussi une parallaxe et il nous faut connaître le
rapport des distances du Soleil à Vénus et à la Terre. Cela nous est fourni par
les lois de Kepler. On connaît la distance AB, l'angle en V (par l'observation)
ainsi que le rapport VA/VA' (par la troisième loi de
Kepler), on en déduit VT, VS et TS, d'où la distance Terre-Soleil
et l'unité astronomique. Le problème se complique du fait que A et B bougent
(rotation de la Terre autour de son axe), ainsi que T et V (révolution de la
Terre et de Vénus autour du Soleil).
Les distances dans le système solaire et la troisième loi de Kepler
Le principe de la parallaxe n'est pas suffisant à lui seul pour déterminer toutes les distances dans le système solaire: seules les planètes Mars et Vénus sont accessibles (et également les astéroïdes passant près de la Terre comme Eros). Le Soleil et les autres planètes sont trop éloignés pour cela. Ce sera grâce aux lois de Kepler que le problème sera résolu.
La première loi de Kepler énonce que les orbites des planètes autour du Soleil sont des ellipses. Nous l'utiliserons parce que les distances Terre-Vénus et Terre-Soleil vont donc varier au cours du temps selon la position de ces planètes sur leur orbite.
La deuxième loi de Kepler est la loi des aires. Plus simplement, elle indique que les planètes vont plus vite sur leur orbite quand elles sont près du Soleil. Nous utiliserons cette loi pour l'analyse des observations de passage qui nécessite de connaître la vitesse angulaire apparente de vénus sur le disque solaire.
La troisième loi de Kepler nous fournit les rapports entre les distances au
Soleil de toutes les planètes et il suffit ainsi de connaître une seule
distance dans le système solaire pour connaître toutes les autres. Elle
s'énonce ainsi:
le rapport a3/T2 est constant pour toutes les planètes du
système solaire
où a est le demi grand axe de l'orbite et T la période de révolution autour du
Soleil. La figure ci-dessous montre ce qui se passe si les orbites sont des cercles,
connaissant la distance D
et les périodes t1 et t2.
La première loi de Kepler énonce le fait que les orbites sont des ellipses
et on ne pourra donc pas assimiler les distances Soleil-Terre
et Soleil-Vénus aux demi grands axes aT et aV
des orbites de la Terre et de Vénus. On passe du demi grand axe "a" à
la distance Soleil-planète (rayon vecteur) "rP" par la formule:
rP = a (1 - e cos E) où e est l'excentricité
de l'ellipse et E caractérise l'emplacement de la planète sur son orbite
elliptique (variable appelée "anomalie excentrique").
D'autres considérations viennent compliquer le problème: du fait des perturbations gravitationnelles mutuelles, les planètes ne suivent pas les lois de Kepler, valables uniquement pour deux corps, mais des plus complexes. De plus, ce n'est pas la Terre qui suit une trajectoire quasi-elliptique, mais le barycentre du système Terre-Lune. Enfin, la lumière ne se propage pas instantanément, ce qui nécessite la prise en compte de la distance Terre-Soleil, donc d'itérer le processus. La fiche n°32 fait le point sur la façon de mesurer et de définir l'unité astronomique aujourd'hui.
Conclusion
Le principe de la parallaxe et les lois de Kepler (découvertes par l'analyse
des observations des positions des planètes au cours du temps) sont donc
suffisantes pour nous permettre de mesurer le distance Terre-Vénus
et, à partir de là, toutes les distances des planètes au Soleil. La distance Terre-Soleil servant de base pour le calcul de la distance
aux étoiles proches, c'est l'univers que nous pouvons donc envisager de mesurer
désormais.