Edition critique du Voyage à Rodrigue (1761-1762) d'Alexandre-Guy Pingré

 

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© - Sophie Hoarau et Marie-Paule Janiçon - Édition critique du Voyage à Rodrigue (1761-1762) d'Alexandre-Louis Pingré - Mémoire de Maîtrise 1992 sous la direction du Professeur J.M. Racault.

 

II. LE CONTEXTE SCIENTIFIQUE: LE SIECLE DES LUMIERES.

 

"Lumières, Aufklärung, enlightenment, illuminismo : dans la plupart des langues européennes, une même métaphore qui souligne la fin des "ténèbres", sert à désigner la culture du XVIIIème siècle. Le triomphe du rationalisme et de l'esprit critique, dont les philosophes se font champions, couronne l'évolution intellectuelle de l'époque moderne" [1] .

A la relative stabilité du XVIIème siècle succéda une période d'effervescence intellectuelle, scientifique, économique et militaire. D'abord littéraire, le XVIIIème siècle devint progressivement philosophique. Les conversations métaphysiques des salons, des cafés et des clubs s'orientèrent vers des discussions philosophiques, encouragées par l'esprit encyclopédique et scientifique de l'époque. Tout devait être soumis à "l'autorité de la raison", à l'expérience, à la vérification, au raisonnement. Derrière ce règne de la raison s'inscrivait, en filigrane, la présence inéluctable et symbolique du philosophe, porte-parole d'un siècle qui devint celui des Lumières.

Véritable guide, il fut caractérisé pour la première fois en tant que représentant de la raison par Dumarsais (1676-1756), à travers un article publié dans l'Encyclopédie de Diderot et que Jean Goldzink résume en ces termes : "Le philosophe est défini par l'exercice prudent, méthodique et critique de la raison. Mais aussi par l'exercice du bien public. Etre pensant dont la raison met en question les préjugés ; être sociable qui tourne vers le monde le visage bienveillant d'un honnête homme" [2] . En revendiquant l'esprit critique, il orienta la pensée et prépara la marche vers le progrès, esquissée par les grands voyages entrepris dès la fin du XVIIème siècle. En effet, les récits rapportés de ces voyages furent les premières pierres de l'édifice scientifique, politique et social des Lumières et favorisèrent le succès des idées philosophiques sur la diversité et la relativité des modes de pensée.

 

Le développement de la curiosité scientifique.

 

Parallèlement à l'essor des sciences se développa alors une importante production d'ouvrages essentiellement caractérisés par une volonté d'informer, de classer, de répertorier les connaissances universelles.

Le relevé et la description des plantes et des animaux des Mascareignes que propose Pingré dans sa relation, correspondent à cette démarche encyclopédique, consacrée par Buffon (1707-1788). Grâce à la réalisation d'une oeuvre en trente-six volumes intitulée Histoire naturelle et publiée entre 1749 et 1789, ce naturaliste français contribua à l'émancipation des sciences naturelles en refusant toute classification arbitraire et en proposant, à la place, une classification selon l'espèce. Bien avant lui, l'Anglais John Ray (1627-1705), dans son Histoire des plantes, puis le Français Michel Adanson (1727-1806), dans Famille naturelle des plantes, avaient révélé la pertinence d'une telle classification.

Par ailleurs, pour une meilleure appréhension du monde, le XVIIIème siècle tenta de parachever l’œuvre de Newton : la vulgarisation de ses recherches scientifiques fut amorcée par Voltaire à travers la publication, en 1738, de ses Eléments de la Philosophie de Newton, et la vérification de ses lois mathématiques et astronomiques détermina l'objectif de la plupart des grandes expéditions. L'observation du transit de Vénus fit partie de ces expéditions et devait permettre la détermination numérique du système solaire, en l'occurrence par le calcul de la distance entre la Terre et le Soleil.

La mission de Pingré apparaissait alors aussi essentielle que celle qui conduisit, d'une part, en 1736, Clairaut et Maupertuis en Laponie, et, d'autre part, La Condamine et Bouguer, au Pérou. Cette double opération devait vérifier l'hypothèse de Newton sur l'aplanissement de la Terre aux pôles.

Toujours dans cette perspective de répertorier les connaissances, des chercheurs du siècle des Lumières se lancèrent dans la réalisation d'une extraordinaire entreprise, celle de l'Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Sous la conduite du philosophe Denis Diderot (1713-1784), et du mathématicien jean Le Rond d'Alembert (1717-1783), cent trente spécialistes participèrent à la production des dix-sept volumes de définitions et des onze volumes de planches qui composent l'Encyclopédie et dont la publication s'échelonna sur vingt-et-un ans, de 1751 à 1772.

 

"Oeuvre de vulgarisation et oeuvre de combat ( ... ), l’Encyclopédie coordonne désormais les manières de penser de l'opinion éclairée qui se constitue depuis le début du siècle. L'humanité apparaît sur la voie du progrès, qui est dû non pas à la théologie, mais à la raison" [3] .

Les Lumières de la fin du siècle ont vu ainsi l'aboutissement de deux cents années de recherches intenses et ont offert à l'Histoire une toile de fond nécessaire à son édification.

L'univers scientifique fut le premier à bénéficier de cette marche vers le progrès ; toutes les découvertes du "siècle miracle", furent améliorées, expérimentées, soumises à l'autorité de la raison. Le XVIIIème siècle hérita ainsi de la lunette astronomique, du microscope, des doctrines de Copernic et de Galilée, et surtout, nous l'avons vu, des lois de Newton.

Dorénavant, grâce aux mathématiques, le monde est perçu comme un ensemble complet, fonctionnant avec des lois dépendantes les unes des autres. On commence à lui reconnaître un caractère universel. Ainsi s'explique la volonté des chercheurs des XVIIIème et XIXème siècles de résoudre les difficultés liées à la multiplicité des unités de longueur, de volume et de masse qui variaient d'un pays à un autre, et parfois même d'une province à une autre. Ils proposèrent l'adoption d'un système de mesures universel dont "les étalons fondamentaux (méridien terrestre, jour solaire, eau pure) ont permis de définir les unités de base (mètre, seconde, kilogramme) et les unités dérivées nécessaires pour mesurer la plupart des grandeurs physiques - surface, volume, vitesse, accélération, force, travail, puissance, etc." [4] .

Cependant, les traditions retardèrent jusqu'en 1840, l'usage de ces étalons universels.

 

L'esprit scientifique au service de la navigation et de la géographie.

 

La marine à voile, développée à l'ère des Grandes Découvertes, s'affirma aux XVIIème et XVIIIème siècles avec la création du vaisseau de ligne qui était utilisé à la fois comme bâtiment de guerre et de commerce, comme le rappelle Pingré :

 

"je devais m'embarquer sur le vaisseau de la Compagnie, le Comte d'Argenson ; ce vaisseau, armé en guerre, est de soixante-quatre canons ; il était chargé de marchandises d'un poids d'environ mille tonneaux".

"Nous faisons route au sud-ouest ; et, en cas de chasse, on fait préparer les canons. Ils sont au nombre de vingt-six et de douze livres de balle. M. Marion prononce de plus le branle-bas, c'est-à-dire qu'on fait abattre les chambres de la plupart des passagers" [5] .

 

Lorsque le chanoine Alexandre-Guy Pingré s'embarqua sur le Comte d'Argenson pour se rendre dans l'océan Indien, la navigation était loin d'être une science exacte. Depuis le XVIèrne siècle, la latitude était calculée au moyen des tables astronomiques, les regimentos . Ces tables, basées sur l'observation de l'étoile Polaire, puis enrichies de la méridienne qui consistait à observer la hauteur du Soleil à son méridien, permirent l'exploration de l'hémisphère sud, où la Polaire est invisible. Cependant, les progrès étaient ralentis par l'incapacité de déterminer avec précision la longitude : celle-ci ne fut résolue qu'à la fin du XVIIIème siècle, avec la mise au point d'un premier garde-temps par l'Anglais John Harrison, qui perfectionna les pendules de Huygens, réalisées en 1657. Entre-temps, malgré de nombreuses améliorations, les instruments restaient imprécis : on naviguait toujours à l'estime. Les méthodes scientifiques, associées aux méthodes traditionnelles, s'appliquaient à établir un système de calcul qui recherchait la perfection, visant à faciliter le déplacement et le positionnement en mer. Le loch, "simple ligne, graduée de distance en distance par des nœuds qu'on file à la mer pendant un temps fixé, mesuré par le sablier" [6] , permettait d'évaluer la distance parcourue ; il apportait, certes, plus de précisions, mais il ne s'agissait, là encore, que d'un calcul approximatif. Le cap suivi, déterminé par la boussole, permettait de reconnaître sa position à l'est ou à l'ouest par rapport à celle de la veille, ce qui justifie les relevés quotidiens effectués par Pingré, tel que celui du dimanche 8 février 1761 :

 

"A midi nous avons fait 12 lieues 2/3 au SSE 4° 15' S

Latitude observée  3° 10’ N

Latitude estimée  3° 19’ N

Longitude estimée  22° 40’ O ».

 

Les progrès accomplis en astronomie précisèrent les évaluations : les navigateurs commencèrent à s'orienter grâce au "procédé des distances lunaires fondé sur l'observation de la distance angulaire entre un astre mobile (la Lune) et des astres fixes (les étoiles)" [7] , méthode préconisée par M. l'abbé de la Caille, astronome de référence au XVIIIème siècle, et d’après de Mannevillette, cartographe de la marine.

Dès le départ, Pingré annonça son intention de suivre cette méthode, en sollicitant le concours des marins :

 

"J'entends donc ici, par la méthode de M. l'abbé de la Caille, celle de conclure la longitude en mer par l'observation des distances de la lune soit au soleil, soit aux étoiles fixes, et je l'appelle ainsi, non que je prétende que ce célèbre astronome en ait été l'inventeur, mais parce qu'il l'avait adoptée d'une manière tout à fait singulière, non seulement comme la meilleure de toutes, mais comme l'unique qui pût réussir. M. l'abbé de la Caille avait alors plus d'expérience que moi, j'étais […] dans la persuasion que cette méthode était [bien] la meilleure. En conséquence, je l'ai toujours suivie en allant aux Indes ; en revenant j'ai essayé celle des hauteurs de la lune et des angles horaires, telle que je l'ai proposée dans l'Etat du Ciel des années 1755, 1756 et je mettrai le public en état de juger du succès de ces deux méthodes".

 

Les différentes méthodes avancées s'avéraient longues et compliquées, aussi les voyageurs avaient-ils souvent recours à leur expérience, à leur pratique de la navigation et aux repères marins pour assurer leur position.

Ainsi, les relations de voyage, entre autre celle de Pingré, et tout simplement les journaux de bord de l'époque, abondaient en notations empiriques. Les expressions telles que "quand la mer change", "quand le vent tourne", " nous avons rencontré quantité d'oiseaux", etc., étaient interprétées comme des signes annonçant des changements climatiques, ou bien l'approche d'une terre.

L'apparition de certains oiseaux donnait lieu à des interprétations subjectives et particulières ; "le taillevent [était regardé] comme un oiseau de bon augure, pour le vent à venir", "les manches-de-velours [assuraient] que l'on trouvera fonds" et " les pailles-en-queue étaient un pronostic certain de l'arrivée prochaine de quelque vaisseau".

La coutume burlesque de célébrer le passage de l'équateur révélait un autre aspect empirique de la navigation. Leguat, déjà, avait qualifié cette célébration du passage de la Ligne d"'impertinente cérémonie qu'on appelle du Baptême" [8] . Un siècle plus tard environ, Pingré consacra cinq pages de son manuscrit à la description de cette cérémonie, mais, homme de science accompli, il estima sans doute qu'une telle cérémonie n'avait plus de raison d'être en cette seconde moitié des Lumières et il choisit de raturer quatre de ces pages. Si, dans la seule page de rédaction qu'il conserva, son ironie est à peine perçue, l'analyse des passages raturés met en exergue ce trait de caractère qui semble se dégager à travers ses écrits. Les propos de ces passages rejoignent d'ailleurs ceux de Leguat :

 

"On a donc fait aujourd'hui l'impertinente cérémonie [que] l'on a jugé à propos de décorer du nom de [baptême] ».

Les coutumes liées au passage de l'équateur ne paraissent pas avoir séduit l'aventurier Leguat au XVIIème siècle, encore moins le scientifique, Pingré, au XVIIIème : tous les deux refusèrent de voir dans ce "baptême" un rite initiatique.

Après une certaine pratique de la méthode de M. l'abbé de la Caille, méthode déjà expérimentée par M. d'Après, Pingré lui découvrit une faiblesse, résultant d'une erreur enregistrée sur les tables du Soleil de Cassini, et proposa l'utilisation des tables de M. Mayer.

 

"Pourrais-je me flatter de réussir mieux que M. d'Après ? Non certes, si les degrés de connaissance sont ici seuls à considérer, mais il faut de plus avoir de bonnes tables ou de bonnes éphémérides, calculées sur les tables de feu M. Cassini. Or, l'erreur de ces tables monte souvent jusqu'à 12, 15, 16 minutes et même plus : une telle erreur en occasionne une de 6, 7, 8 degrés et au-delà dans la détermination de la longitude. Je me servais des tables de M. Mayer dont l'erreur n'a point encore été trouvée excéder deux minutes, erreur qui n'en peut produire une que à un degré dans le résultat de la longitude".

 

Toutes ces recherches correspondaient à la volonté du siècle de déterminer la longitude ; scientifiques et astronomes des Lumières se mobilisèrent et tentèrent d'élucider ce mystère. Les éphémérides astronomiques, La Connaissance des Temps en France et le Nautical almanach en Angleterre, furent améliorées. En décidant d'expérimenter sa propre méthode, au moment du retour, à bord du Boutin, Pingré participa activement aux recherches scientifiques.

 

"Je donnerai tous les jours la longitude du vaisseau, telle qu'elle aura été estimée par nos officiers, j'y ajouterai ma propre estime de longitude, laquelle ne différera de la première que par une addition journalière de 9 ou 10 minutes à l'ouest, dans toute l'étendue de la zone des vents alizés. Enfin, je rapporterai chaque jour les observations de M. Meyrac, Le Brun, Soleil, etc., relatives à la longitude".

 

Le choix de Rodrigue comme site d'observation, nous l'avons vu, n'était pas étranger à la nécessité de préciser la position des terres nouvellement découvertes. Plus de deux siècles après le voyage de Magellan dans le Pacifique en 1520, quelques années avant l'expédition de Bougainville autour du monde (1766-1769) et l'exploration du Pacifique et des mers Antartiques par Cook (-1768­1780), le voyage de Pingré vers les Mascareignes incluait les caractères d'une véritable mission scientifique, entourée des risques qui accompagnaient inévitablement toute grande expédition.

En dépit de l'imprécision qui régnait autour du calcul de la longitude, navigateurs et voyageurs s'aventuraient de plus en plus loin sur les mers, en particulier sur celles des Indes qui était alors un lieu d'exploration très convoité. Connaître et maîtriser l'océan Indien, signifiait se rapprocher de l'Inde, contrée dotée d'une grande valeur commerciale au XVIIIème siècle.

Les routes qui permettaient d'accéder à cette plaque tournante du commerce demeuraient cependant aléatoires, longues et périlleuses ; trois itinéraires possibles se présentaient aux navigateurs.

Dès le XVIème siècle, la connaissance des vents permit aux Portugais de déterminer la "grande route vers l'Inde" [9] , la route droite ; elle consistait à repérer les Canaries, les Açores, les îles du Cap Vert puis le Cap, avant de reconnaître les îles Saint-Paul et Amsterdam et de rejoindre ainsi la côte de Coromandel.

La seconde route surnommée "route de l'intérieur" passait par le Canal du Mozambique, mais elle était dangereuse à cause des courants, des vents, de l'approximation des cartes et des nombreuses îles qui la parsèment.

L'expérience, l'accumulation des connaissances, la pratique de la navigation, complétées par les révélations d'un pirate repenti, permirent de déterminer, à partir de 1722, une troisième route, "la route des îles", "des Mascareignes" ou encore "route des Forbans ». Elle rejoignait l'Inde par le nord de Madagascar et les Maldives. C'est celle qu'emprunta Marion Dufresne pour

conduire Pingré à l'île Rodrigue. Partis de l'Orient en janvier 1761, ils arrivèrent dans cette île à la fin du mois de mai, soit cinq mois plus tard, et Pingré ne retrouva la France que le 24 mai 1762, "après 18 mois et sept jours de voyage".

Outre le problème de l'espace et du temps, les voyageurs étaient à la merci des aléas climatiques et des maladies telles que le scorbut, la typhoïde, le typhus, la variole, la dysenterie, le tétanos, qui ravageaient les navires. A l'époque, "la mortalité sur les vaisseaux de la Compagnie [était] d'environ vingt pour cent" [10]

Cependant, le nombre de malades sur le Comte d'Argenson semble être minime : hormis les petits inconvénients dus à un long séjour en mer tels que le mal de mer, le rhumatisme, la goutte, il n'y eut pas de grosses épidémies ; seul l'évêque d'Eucarpie succomba à son épanchement de bile quelques jours après son arrivée à l'île de France, mais Pingré attribua cette mort plus à l'ennui dû au retard provoqué par le Lys, qu'à la maladie elle-même.

"Comme il n'a été sérieusement malade que les 7 ou 8 derniers jours de notre traversée, on pourrait présumer que la maladie n'aurait pas été mortelle si nous n'eussions pas rencontré le Lys. Si cela est, cette fâcheuse rencontre m'aura été moins fatale qu'à ce respectable prélat".

En effet, après environ trois mois de navigation, soit le 8 avril 1761, le capitaine du Comte d'Argenson, Marion Dufresne, fut contraint de "'conserver" [11] le Lys, navire qui ""était indigent et [qui] faisait de l'eau".

Par ailleurs, le retard occasionné par ce navire en difficulté entraîna la diminution des vivres frais et favorisa la propagation du scorbut.

Le 21 avril, après quatre mois de voyage, Pingré nota qu'il n'y avait à bord qu"'un seul [malade] attaqué dangereusement du scorbut", le 2 mai, un mois environ après la rencontre du Lys, il compta "[une vingtaine] de scorbutiques" et, à l'arrivée à l'île de France, le 7 mai, ils étaient déjà une trentaine : "nos scorbutiques, au nombre de trente ou environ, ont vraisemblablement ville gagnée".

En revanche, le nombre de malades s'avérait plus important à bord du Lys :

"[Le principal logement des animaux] est dans la grande chambre du vaisseau ; aussi l'air y est-il tellement infecté qu'il y a beaucoup plus de malades que [sur le Comte d'Argenson], quoique nous soyons en mer depuis un bien plus long temps".

En 1760, les difficultés rencontrées pour le transport, la conservation et la purification de l'eau accroissaient les conditions déjà pénibles d'un si long voyage. Les incommodités provoquées par l'eau chez les voyageurs du Lys et du Comte d'Argenson en témoignent.

 

"[M. Blain] attribue la maladie de [certains de ces gens] à l'eau, faite à l'île de France, où, dit-il, les puits n'avaient pas été carénés et où il était entré de l'eau de mer. Cela peut être ; M. Blain nous a envoyé de son eau, plusieurs en ont été incommodés".

 

"L'eau que nous buvons aujourd'hui, est comme absolument corrompue ; elle est telle, dit-on, dans toutes les barriques. Elle se rétablit entièrement dans les jarres ; or, on a laissé vider toutes les jarres de l'équipage sans remplir, comme on fait d'ordinaire, celles qui étaient vides, pour donner à l'eau le temps de se bonifier durant qu'on vidait les jarres qui restaient pleines".

Parmi tous les désagréments auxquels les voyageurs étaient confrontés, le manque d'eau potable fut un des inconvénients majeurs subis par Pingré :

 

"Cette obligation de ménager l'eau a peut-être été ce que j'ai éprouvé de plus dur durant tout mon voyage".

Sur le Boutin, lors du retour, il analysa soigneusement ce liquide et décela la présence de vers. Intrigué par ces derniers, il a "[employé] toute la pénétration de [ses] yeux myopes et le secours de deux loupes pour saisir la structure [de leur corps]"'.

Loin de véhiculer les idées modernes de plaisir et de liberté, le voyage au XVIIIème siècle portait plutôt les marques de l'aventure et de l'expédition périlleuses. En effet, lorsqu'en 1761 Pingré, au nom de la science, prit la décision de se risquer dans les Indes, les dangers étaient amplifiés par le conflit franco­anglais.


[1] M. Denis, N. Blayau, Le XVIIIe siècle, A. Colin, Paris, 1970, p. 53

[2] J. Goldzink, Histoire de la Littérature Française, XVIIIe siècle, Bordas, Paris, 1988, p. 30.

[3] M. Denis, N. Blayau, Le XVIIIe siècle, A. Colin, Paris, 1970, p. 56-57.

 

[4] Encyclopedia Universalis, Paris, 1985, corpus 12, p. 1177

[5] Ibid., p. 47

[6] Encydopedia Universalis, Paris, 1985, corpus 12, p. 995

[7] Encyclopedia Universalis, Paris 1985, corpus 12, p. 995

[8] F. Leguat, Aventures aux Mascareignes, La Découverte, Paris, 1984, p. 60

[9] Archives départementales de la Réunion Voyage commerce comptoirs et colonies : Bourbon sur la route des Indes au XVIIIe siècle, Imprimerie départementale, "Les techniques : bâtiments et navigation", p. 14.

[10] Mémorial de la Réunion, 1502-1767, Australe Editions, Réunion, 1989, tome 1, p. 404.

[11] Terme marin signifiant "veiller sur un bateau en ne le perdant pas de vue et en étant prêt à lui porter secours". (Glossaire nautique, chez Firmin Didot frères, Paris, 1848).

 

 

 

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